Choisir la vie
Cette page explore la richesse du grec ancien pour exprimer les différents visages de la vie. Car la Vie n’est pas une, mais plurielle — comme nos regards, comme nos chemins. Voici une traversée en huit mots, huit vibrations, huit seuils.
1. Bios (βίος) — La vie biologique
Bios est la forme en train de se former. Elle n’est rien d’autre, mais ce processus lui est propre. En mutation permanente, sous guidage de l’in-formation cosmique instantanée, un potentiel à l’état pur apparaît, se situant d’un côté et de l’autre de la naissance terrestre.
Cette forme en gestation appartient au temps, à l’évolution, à la fragilité. Elle est façonnée par les énergies cosmiques bien plus que par les parents. L’utérus devient ainsi une matrice universelle focalisant l’élan vital sur ce point précis pour créer une forme nouvelle, le fœtus. Quand cette forme se déploiera dans le monde sensible, elle sera arrachée de sa matrice dans une expérience de mort-naissance. À ce stade de Bios, la Vie est une forme en pulsation, est un potentiel immense :
Bios est donc incomplet, un véhicule technologique d’un autre corps vivant à venir, un corps d’apprentissage, Zao.
2. Zao (ζάω) — La vie animée
ZZao est le fait de prendre la vie à bras-le-corps, de respirer enfin par soi-meme pour traverser le monde avec une curiosité incomparable. En doublant cette curiosité d’une capacité étonnante d’apprendre, la Vie transforme la forme Bios en corps Zao.
Zao introduit l’incertitude de la dynamique, connait un mouvement vers l’inconnu, reconnait la vie comme réceptacle du jamais vu, qui se manifeste. Zao ne s’éprouve pas encore dans la chair consciente — c’est toujours un corps en devenir, en apprentissage, en quête de lien.
Le jeune corps Zao, docile et perméable, traverse crises, fièvres, poussées inflammatoires : il absorbe l’extérieur comme une éponge. Ainsi, il sature régulièrement, mais oubli ces moments pénibles aussitôt, et, de cette période, les manifestations futur de la vie ne retiendront pas les détails. Ceci est dû au fait que Zao n’a pas encore de conscience de soi. Cela viendra avec le souvenir inaugural, un souvenir particulier qui ne peut venir de personne d’autre.
Ce jour-là, Zao devient chair consciente : Psyché.
3. Psyché (ψυχή) — La vie intérieure
La chair Psyché est la vie sensible, pensante, méditante. C’est le monde intérieur, la conscience en devenir, le miroir qui réfléchit, le trouble qui s’installe au lieu de s’oublier. Psyché s’éveille quand l’enfant dit « je » pour la première fois. Psyché invente un monde intérieur, crée une polarité entre extérieur et intérieur et devient un voyageur permanent entre deux mondes.
Cette étape a fasciné tout un siècle, en quête des traumatismes originels. Pourtant, au-delà du doute et des blessures, la chair Psyché relie le monde à son propre moi — et pressent que son moi n’est qu’un parmi d’autres.
Quand cette conscience se stabiliser, elle deviendra un tout autre voyageur, celui entre les formes, deviendra Zoé.
4. Zoé (ζωή) — La vie essentielle
Zoé est la vie intemporelle, l’être au-delà de la forme/corps/chair/moi. Elle n’est ni mesurable, ni rattachée à une identité. Elle est conscience pure : celle qui traverse tout ce qui vit, c’est à dire toute forme soit-elle galaxie ou atome.
Pour un chamane, elle est le souffle commun aux galaxies et aux atomes des pierres. Elle ne meurt pas. Elle mute, elle traverse. Le Moi de Psyché est devenu un parmi d’innombrables moi’s, est devenu partie de Soi. À ce stade, nous réalisons que chaque in-formé devient forme, devient corps, devient chair, devient moi, pour que nous créerons tous ensemble un multivers où chaque forme/corps/chair/moi est au centre, un pilier de son propre monde.
À ce moment précis, le moi de la chair psyché peut voyager librement entre toutes ses manifestations et devenir au choix arbre, poussière ou galaxie, peut devenir le voyageur Zoé.
Et quand, à son tour, Zoé, cesse de circuler d’une forme à l’autre, elle découvre la créativité. Elle plonge dans un monde où la forme est langage, où les lettres se révèlent des forces créatrices. Tout naturellement, elle choisit à ce stade les lettres comme matière première et devient poète.
Vient alors la dimension Poïèse.
5. Poïèse (ποίησις) — La vie créatrice
Poièsis est l’acte de créer, le surgissement du sens, la naissance du chant. Elle rend le monde poème. Dans Poïèse, la parole cesse d’informer : elle devient musique. Une mélodie dont la beauté révèle l’évidence. Poïèse donne forme à ce qui ne se disait pas.
Ce n’est plus un outil, mais une glaise infinie. Créer n’est plus produire, mais engendrer. Et derrière chaque mot, chaque geste créateur, Poïèse devine un lien invisible. Ce lien est Agapè.
Mais là encore, le poète est en croissance exponentielle, arrive au point culminant et découvre que le lien entre lui et ses poèmes était dès le début des liens d’amour inconditionnels, des liens Agapé.
6. Agapé (ἀγάπη) — La vie comme lien
Agapè est l’amour sans demande. Elle lie sans posséder, unit sans dépendance. C’est le regard qui n’attend rien, qui voit et accepte. Elle relie ce que le monde oppose, sans le confondre. Elle tient l’univers entre ses deux mains.
Agapè lie formes et de mots. Elle est le fil discret entre deux êtres qui, sans se scruter, suivent ensemble un fil d’or.
Quand cette sagesse grandit, elle ouvre à une connaissance qui ne s’enseigne pas : la Gnose.
7. Gnosis (γνώσις) — La vie en connaissance
Gnosis est la reconnaissance de tout ce qui est. Elle ne passe pas par la logique, mais par l’évidence. Elle est une résonance intérieure. Ce qui semblait fragmenté devient Un, liens et formes peuvent apparaitre comme expression d’une connaissance:
La Gnose voit au-delà des formes, des mots, des liens — et intègre les niveaux précédents comme une pyramide solidement ancrée. Elle perçoit que tout est déjà là. Pour l’esprit, une ultime ouverture reste à franchir :
Il lui faut encore unir ce qui est avec ce qui n’est pas, créer le vide de toute connaissance, Kénôsis.
8. Kénôsis (κένωσις) — La vie vide de soi
Kénôsis est le seuil ultime. Le dépouillement. L’abandon. La disponibilité radicale. C’est l’écoute pure, sans centre, sans but. Un vide vibrant où même la connaissance s’efface pour que l’Essence respire.
Dans ce vide, le moi, le soi s’estompe. La Vie devient évanescence. Et peut-être, à ce seuil, s’ouvre une porte encore voilée : celle du neuvième nom.
Huit mots grecs pour dire la vie, comme huit seuils à franchir — ou à reconnaître en soi. Mais nous le savons déjà : d’autres niveaux nous attendent. Soyons attentifs au neuvième mot, encore voilé, qui attend d’être rêvé.
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